L'épineux sujet sur la nullité du Traité
de Paris signé entre l’Espagne et les États-Unis le 10 décembre 1898, reste
assez méconnu en Europe mais aussi en Amérique latine où l’histoire demeure un
sujet très sensible car la politique n’est jamais bien loin, pouvant frapper
des escarcelles en tarissant les subventions de l'État et même faire des dégâts
plus importants chez les chercheurs trop curieux. Les débats au sujet des
identités nationales souvent manipulées par exemple, soulèvent des passions
irrationnelles et finissent souvent dans le psychodrame, il est difficile dans
ces conditions faire avancer une discussion sérieuse. Par exemple, le
journaliste Achim Lippold constate[1] dans son papier pour RFI à propos du
portrait numérisé en 3D du « Libertador » présenté récemment par Hugo Chávez
que « la représentation de Simón Bolívar a bien changée au fil du temps.
Les premiers portraits le montraient encore avec des traits européens. Des
traits qui se métissaient ensuite jusqu’à cette dernière image numérique qui
révèle un Simon Bolivar bien créole ». Ce n’est qu’un exemple parmi tant
d'autres. Les raisons sont nombreuses mais la divinisation à outrance des
figures des panthéons patriotiques nationaux est sans doute la plus importante.
À côté des noms propres s’accolent souvent des épithètes tels que « apôtre »[2]
emprunté du champ lexical des vies de saints. Ceci est le cas de José Martí, le
patriote cubain qui organisa la seconde guerre d’indépendance contre l’Espagne
en 1895, dont sa biographie fut épurée des traits dérangeant pour mieux coller
au portrait du mythe accroché dans toutes les écoles et trônant sur la Plaza de
la Revolución.
Les premiers à développer des thèses pour
invalider le Traité de Paris furent les avocats portoricains Pedro Albizu
Campos[3] et Eugenio María de Hostos[4], pour ce dernier la cession de l’île
sans prendre en considération les souhaits de leur population, était tout simplement
illégal, c’est pourquoi il fonda le 2 août 1898 la Ligue des Patriotes
Portoricains, cinq mois avant la signature officielle du Traité « pour remettre
notre Mère Ile dans une situation de droit ». Aujourd’hui, des pistes nouvelles
ouvrent la voie à une solution plus équilibrée pour les anciens territoires
d’Outremer espagnols. D’abord, la situation politique administrative de Porto
Rico n’est pas satisfaisante[5], de son côté Cuba doit faire face à une
ré-actualisation du modèle socialiste qui pour le moment semble un échec ; la
loi dite des « Grands parents » ou de la « Mémoire historique » a permis
d’après le consulat de Madrid à La Havane[6], que 300 000 cubains, -le cinq
pour cent de la population-, deviennent des nouveaux citoyens espagnols . D’autre
part, comme le soulignait Eric Hobsbawm[7] « La situation mondiale actuelle
est sans précédent. Les grands empires mondiaux de jadis, tels l’Empire
espagnol et, tout particulièrement, l’Empire britannique , ont peu en commun
avec l’actuel Empire américain» qui a désormais des vues plus larges sur le
monde. Ces nouvelles donnes ouvrent peut être la voie à l’expression souveraine
de ces peuples qui n’ont jamais été consultés sur leur avenir à la fin du XIX
siècle.
Contexte historique
Suite à l’ultimatum du président McKinley
à cause de la guerre civile à Cuba, mais également, au changement du
gouvernement à Madrid, comme conséquence directe de l’assassinat du son chef
Antonio Cánovas del Castillo , Espagne dut se résoudre à accorder l’Autonomie
pleine à ses territoires d’Outremer le 25 novembre de 1897. La publication du
Real Decreto le 27 de novembre 1897 dans la Gaceta de Madrid[8] déclencha la
formation d’un gouvernement Autonomique à la Havane présidé par José M. Gálvez
Alonso. Les conséquences juridiques de ce décret seront analysées dans la
dernière partie de ce travail, mais elles sont d’une importance capitale encore
aujourd’hui.
La seconde guerre civile hispano cubaine
se termina le 25 avril de 1898 avec l’entrée en guerre des États-Unis.
L’intervention de la Us Navy dirigée par l’Amiral Sampson en Santiago de Cuba
et l’ultérieure et rapide défaite des forces navales espagnoles dirigées par
l’Amiral Pascual Cervera y Topete finirent par désarticuler l’ancien empire et
marquèrent le point de départ définitif de l’Espagne de l’aire d’influence
nord-américain aux Amériques et au Pacifique. La doctrine Monroe établissait
clairement dès 1823 que « le continente américain doit désormais être considéré
comme fermé à toute tentative ultérieure de colonisation de la part de
puissances européennes »
Lors du conflit, la présidence de los
États-Unis l’exerçait William McKinley, alors que les acteurs politiques du
côté espagnol étaient la Régente Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine et le
président de son gouvernement Práxedes Mateo Sagasta. Même si l’opinion
publique à Madrid soutenait la guerre, l’issue du conflit était prévisible.
Effectivement Santiago de Cuba se rendit le 16 juillet 1898. Par peur d’une
extension du conflit en Europe, Espagne commence presque aussitôt des
négociations en vue de signer un traité de paix, publiant dans « La Gaceta de
Madrid » un décret royal sollicitant comme c’était prévu dans la Constitution
de 1876[9], au Parlement « Las Cortes del Reino » l’autorisation nécessaire
pour pouvoir le souscrire le 6 septembre de 1898[10]. À la suite des âpres
négociations qui s’étendirent pendant quatre mois, le document final connu sous
le nom de Traité de Paris fut signé le 10 décembre et se ratifie définitivement
par la Reine Régente le 19 mars 1899.
Territoires et nationalités en litige
À la fin de la guerre hispano-cubaine
nord-américaine en 1898, les territoires cédés ou vendus par l’Espagne aux
caraïbes ou dans l’océan Pacifique passèrent sous l’influence des États-Unis.
Le Traité de Paris, signé le 10 décembre[11] de la même année, fixait les
règles légales qui désormais s’appliqueraient sur les nouveaux territoires
conquis. L’article I du document exprime clairement qu’Espagne renonce à la
souveraineté de l’île de Cuba spécifiant qu’en même temps les « États-Unis
tant que durerait l’occupation, prendraient la entière responsabilité et
accompliraient les obligations prévues en conformité avec le Droit
International » Cependant, le Droit International ne fut aucunement
respecté et des nouveaux territoires furent tout simplement annexés ou mis sous
protectorat, comme le montrent les cas de Porto Rico, Philippines et Cuba.
Le cas de Cuba fut beaucoup plus complexe
d'un point de vue moral vu que les États-Unis sont intervenus officiellement
dans la guerre civile hispano-cubaine à la demande des rebelles
indépendantistes. Une section internationale du Parti Révolutionnaire Cubain
fondé par José Martí, fut créé très tôt pour sensibiliser l’opinion publique
nord-américaine à faveur de l’intervention. L’activisme de son représentant
auprès du gouvernement en Washington, Tomas Estrada Palma mais surtout celui de
l’avocat Gonzalo de Quesada, éduqué à New York, mais surtout très bien connecté
dans les milieux financiers de l'époque, ont facilité la décision du président
McKinley de prendre part à la guerre contre l'Espagne, une fois assuré du
soutien inconditionnel de l’Armée Rebelle cubaine dirigée par le General Máximo
Gómez. En effet, une fois débarqués dans la partie orientale, les troupes
nord-américaines furent aidées par les insurgés cubains. Cette collaboration
n’aurait pas changé l’issue de la guerre mais, elle contribua selon les
historiens militaires, largement à la défaite espagnole.
Dans ces conditions il s’avéra difficile
pour le président McKinley de donner à Cuba le même traitement réservé à Porto
Rico et aux îles Philippines, -mises sous protectorat jusqu'à aujourd'hui-. Il
fut donc contraint d’accepter après trois années d’occupation militaire,
l’indépendance formelle de l’île qui fut actée le 20 mai 1902, une fois
approuvé un appendice constitutionnel dans l’article III de la nouvelle Carte
Magne de la République cubaine, nommé l’Amendement Platt qui assurait
légalement aux États-Unis la possibilité d’intervenir à tout moment pour
préserver « l’indépendance et le maintien d’un gouvernement capable de
garantir les vies, propriétés et libertés individuelles ».
Cependant, des nombreux spécialistes en
Droit International, surtout des portoricains[12] et espagnols[13] ont souligné
dès le départ les faiblesses légales du Traité de Paris s’appuyant sur la base
du droit de personnes. Il faut considérer également, que si bien les accords de
Vienne ne furent créés qu'en 1976, l’Espagne dut se résoudre en 1898 à signer
un document que la dépossédait de toutes ses colonies, -même celles qui
n’étaient pas directement touchés par le conflit avec les États-Unis- dans
l’océan Pacifique, ce fut le cas des Philippines et de l’ile de Guam, sous la
contrainte de représailles plus couteuses, comme le souligne le professeur
Rosario de la Torre, historienne de la Université Complutense de Madrid dans sa
communication La crisis del 98 « La peur d’une action combinée des
nord-américains et britanniques dans la région du détroit de Gibraltar,
élargissant la guerre aux îles Canaries et aux côtes Marocaines, influèrent
puissamment dans la perception du gouvernement espagnol, désirant éviter une
crise internationales de conséquences encore plus graves.»[14]
Droit de personnes
L’historien Alejandro Torres Rivera[15]
explique dans son livre les thèses des indépendantistes portoricains, basées
principalement sur le droit de personnes « le Traite de Paris ne pouvait pas
impliquer Porto Rico sans l’accord explicite de ses habitantes qui à l’époque
étaient tous des citoyens espagnols » Aujourd'hui, après 155 ans de
tergiversations ce flou juridique reste d’actualité car le statut juridique de
l’île des caraïbes reste insatisfaisant comme le prouve le référendum qui a eu
lieu le 6 novembre 2012. En effet, en même moment que l’élection au gouverneur
de l'État, les portoricains furent invités à se prononcer encore une fois sur
la relation qu'ils souhaiteraient avoir avec les États-Unis. Trois questions
leur étaient posées et c'est l'incorporation à l'Union américaine en tant
qu'Etat qui l'emporta, cependant dès le lendemain le Sénat a fait savoir qu'il
ne tiendrait pas compte des résultats.
Mais également, suite à la dépossession de
la nationalité d’origine, les natifs des îles qui n’avaient pas le droit de
réclamer l’espagnole en vertu de l’article IX du Traité, se sont retrouvés
exclus des pensions militaires ou d’autres bénéfices, dont ils pouvaient
bénéficier en tant que des anciens sujets de la Couronne. C’est pourquoi
l’Amiral Cervera en personne, plaida auprès du parlement pour que ces personnes
retrouvent leurs droits « on nous a condamné à la misère, à nous à nous
femmes, à nos enfants, à tous ceux qui dépendent de nous, aux héritiers et
ayants droit de ceux qui ont servi loyalement l’Espagne et que pour la
défendre, ont perdu vies et propriétés ; on leur a enlevé tout droit, même
celui de la citoyenneté »[16] plaida-il en 1901.
La nullité du Traité selon les
indépendantistes portoricains
Pedro Albizu Campos et d’autres
indépendantistes portoricains mirent au point pendant la première moitié du XX
siècle des arguments juridiques pour démontrer la Nullité de Traité. Ils
s’appuyèrent principalement sur le fait que les anciennes colonies espagnoles
au moment des faits, possédaient une personnalité juridique propre
-l’Autonomie- accordée le 27 de novembre de 1897 en conséquence, l’Espagne ne
pouvait pas -sous peine d’annulation- ni céder leur souveraineté ni les vendre
sans que les nationaux de ces territoires ne soient consultés au préalable.
Mais ce n’est pas le seul argument, il existe
encore un autre encore plus importante, selon la Constitution espagnole en
vigueur en 1876, le Roi -en l'occurrence la Reine Régente- devait être dûment
autorisé par le parlement pour céder des territoires du royaume. En effet, le
Titre 6 Du Roi et ses ministres[17], article 55 , établit clairement cette
condition « pour aliéner, céder ou permuter n’importe laquelle partie du
territoire nationale » Comme ce ne fut pas le cas, la Reine Régente n’avait
donc pas le droit de ratifier le Traité le 19 mars 1899.
Les effets pervers du Traité ne
s’arrêtaient pas là, car sa signature entraînait également la perte de la
nationalité espagnole pour les naturels de ces territoires. Vu que les
habitants de tous ces anciennes possessions étaient des sujets de la Couronne,
ils furent dépossèdes de leur nationalité d'origine par les États-Unis, sans
que ceux-ci « n’en viennent en acquérir une autre résidence dans un pays
étranger » pour Cuba ce fut chose faite le 20 mai 1902 ; jour de la déclaration
officielle de l’indépendance et de l’inauguration de la première République.
Par conséquent Porto Rico, -qui n’est pas encore un état indépendant 115 ans
après les faits-, peut être encore considéré comme un territoire espagnol, cela
signifie que ses habitants sont encore des citoyens espagnols de plein droit,
au même titre les natifs d’Andalousie ou de Madrid.
Le Courant Hispaniste en l’actualité
Les blessures du « Desastre » de 1898
comme c’est défini pour les historiens espagnols dans les manuels d’histoire
contemporaine ne sont pas encore renfermés. Les évènements qui ont conduit à la
fin de l'Empire Espagnol sont résumés par le chercheur Germán Rueda[18] dans
son travail [1], « un secteur importante des politiciens nord-américains
utilisèrent habilement des ingrédients tels que la dispersion et l’éloignement
des territoires espagnols, l’attention militaire et administrative réduite
exercé par l’Espagne l’empêchant de les maitriser, les contradictions entre les
partis et groupes péninsulaires au sujet de statut politique des territoires,
le manque d’un projet colonial cohérent, le déclin de l’Espagne en relation aux
autres puissances Européennes, les conflits indépendantistes irrésolus à Cuba
et aux Philippines et enfin, pour l’inertie de la force expansive des
États-Unis depuis le XVIII siècle, une fois épuisé le territoire continentale
assigné selon la doctrine de la « Destinée manifeste » Le résultat final ce
fut l’occupation effective de presque tous les territoires espagnols de
Amérique , Asie et Océanie »
La défaite de 1898 déclencha à
l’époque une profonde remise en question du pays tout entier. Cependant les
interprétations et les causes du « déclin » espagnol divergent et restent,
aujourd’hui encore, un sujet de sensibles controverses en Espagne. Alors que
l’idée d’un Empire Espagnol réunifié fait son chemin depuis les évènements de
1898; la puissance que représente ensemble des pays hispaniques séparés par la
géographie, mais gardant quand même une langue commune et des traits culturels
identiques, fait rêver surtout dans la période de crise actuelle. Mais c’est
l’insuffisance juridique du Traité de Paris et l’anomalie de le statut
juridique actuel de Porto Rico qui font apparaitre comme souhaitable la réintégration
à l’Espagne comme une solution viable dans le contexte politique actuel. Le
professeur Francisco Gonzalez Sosa[19] dans son travail Descolonizando a
Puerto Rico justifie son propos avec l’argument que Porto Rico n’est
plus aussi important qu’autrefois pour les États-Unis, qui refusèrent
d’ailleurs à plusieurs reprises l’intégration de l’île en tant qu’Etat de plein
droit dans l’Union Américaine. Des mouvements politiques soutenant cette idée
ont fait leur apparition dans le paysage américain et européen « Herencia
Española » mais encore « Corriente Hispanista » et « Autonomía Concertada para
Cuba » sont des exemples récentes. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg
d’un mouvement de fond qui peut être greffé dans l’actuel débat espagnol sur le
fédéralisme agitant les rangs des partis politiques espagnols, depuis que la
Catalogne annonça unilatéralement son souhait d’indépendance dans les
manifestations du mois de septembre 2012.
Conclusions
Le sort des anciens territoires d’Outremer
ne fut pas clos avec la signature du Traité de Paris. Le foisonnement de
projets politiques[20] visant à reconstruire l’empire espagnol de façon
raisonné et concerté entre les nations intéressées montrent que l’idée est loin
d’être morte. Il est fort improbable que l’Espagne demande l’annulation du
Traité aujourd’hui, car elle n’est pas en situation d’imposer aux États-Unis
leur révision. Par contre, des initiatives juridiques individuelles[21] des
portoricains et cubains visant à obtenir leur droits de citoyenneté espagnole,
pouvant aboutir auprès des instances européennes, auront un impact non
négligeable sur les gouvernements impliqués. De plus, la crise économique, les
actuelles discussions sur le fédéralisme en Espagne[22], les incertitudes que
plainent sur l’avenir de Cuba et comme il fut expliqué plus haut, la situation
équivoque de Porto Rico[23], qui devra tôt au tard faire face à des discussions
sur la décolonisation, éclairent d’une façon inédite le débat sur l’hispanité
pour le XXI siècle.
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, págs. 225-245 “En mi propio nombre y en el de todos los súbditos leales de
España, naturales de las provincias perdidas, que lo sacrificaron todo en aras
de la patria (…). Pido justicia contra el abandono, contra la ingratitud de que
hemos sido víctimas (…). Se nos ha condenado a la miseria a nosotros, a
nuestras mujeres, a nuestros hijos, a cuantos de nosotros dependen, y a los
herederos y derechohabientes de los que sirvieron lealmentea España, y
perdieron sus vidas y sus haciendas por ella; se ha negado tododerecho hasta el
de ciudadanía, entregando como vil rebaño, atados de pies y manos al
extranjero”
Santaolalla López
Fernando, La ley y la Autorización de la Cortes a los Tratados internacionales.
Rueda Germán. El
"desastre" del 98 y la actitud norteamericana. Universidad de
Cantabria
Gonzáles Sosa
Francisco. Descolonizando a Puerto Rico. Universidad de Puerto Rico.
Niebel Ingo.
Quieren que Cuba vuelva a ser una colonia española. AVN. 21/09/2012
Núñez Ferrán. Cuba
podría entrar en una federación española. Ellibrepensador. 08/11/2012
Casi 300
intelectuales firman un manifiesto en contra del "secesionismo" de
Artur Mas. El Economista. 03/112012
Santori Fufi. La
estadidad como muleta. elnuevodia. 22/11/2012
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